28 mars 2022

Jean Guidoni: "Dans mes rêves les plus fous, je n'imaginais pas revenir aux Bouffes du Nord"

(c) David Desreumaux

L' annonce d'un nouvel album de Jean Guidoni est toujours une bonne nouvelle. Il demeure en effet l'un des interprètes les plus flamboyants de la chanson française. Et, connaissant l'intégrité de l'homme et de l'artiste, on ne peut s'empêcher de redouter le moment où il décidera de se retirer, estimant (à tort) qu'il n'a plus rien à dire. 
Cinq ans après "Légendes urbaines" dont il avait signé tous les textes, sur des musiques de Didier Pasccalis, il a donc enregistré "Avec des si". Pour ce 16ème album studio, il a travaillé avec Arnaud Bousquet, un auteur qui a su saisir le "climat" cher à Guidoni, tout en lui proposant d'aborder d'autres thèmes. Soutenue par une formation musicale épurée (piano, violon, violoncelle et trombone), sa voix grave et prenante vient littéralement nous chercher pour nous inviter à "Revoir l'été", partir sur les traces d'"Un homme sans importance", partager un Bloody Mary au bar du sombre "Cecil Hotel" de la cité des anges, essuyer quelques "Larmes de tigre"ou parcourir les rues d'un Paris "Sans Dabadie"... 
Un superbe opus baigné d'une nostalgie presque joyeuse.
Rencontre avant son concert au Théâtre des Bouffes du Nord, le 25 avril prochain. Une salle où il ne s'était plus produit depuis quarante ans !

- Ce nouvel album dégage une mélancolie presque joyeuse ?
Je parlerais plutôt de nostalgie, mais sans s'arrêter sur le passé. On a vécu mais pas trop vieilli !

- Après avoir signé tous les textes de ton précédent album, tu as travaillé avec un nouvel auteur. Pourquoi ?
En fait, je pensais tout arrêter après "Légendes urbaines". Lorsque j'ai croisé Arnaud Bousquet à l'Européen, il m'a dit qu'il avait envie d'écrire pour moi. Je me suis dit pourquoi pas. J'avais commencé à travailler sur quatre chansons et je lui ai demandé d'essayer de les terminer. Il était "vierge" d'écriture. Outre les chansons, j'ai aimé l'être humain. Nous avons beaucoup parlé. C'est quelqu'un de sensible et bienveillant.  Jusqu'ici les gens qui m'avaient été présentés me proposaient souvent du sous-Pierre Philippe (son auteur fétiche). Moi, je me sens plus interprète qu'auteur et je n'ai pas d'égo. Après "Sans Dabadie", il m'a fait écouter "Revoir l'été", une chanson inspirée de mon livre ("Quelques jours de trop"). J'ai eu l'impression qu'il était entré dans ma tête, qu'il me connaissait par coeur. Cela m'a vraiment donné envie de repartir.

- Tu as vraiment songé à tout arrêter ?
Oui, sans rancoeur ni regret. Avant les spectacles, je pouvais me rendre malade au point de développer des plaques d'irritations sur la peau. C'est fatiguant la compétition, la remise en question. Je n'avais plus trop envie de rentrer là-dedans. Aujourd'hui, je n'ai plus d'angoisses.


(c) David Desreumaux


- Comment est venue l'idée de la chanson sur le "Cecil Hotel". Un lieu qui avait défrayé les chroniques criminelles avec l'affaire Elisa Lam ?
C'est moi qui l'ai demandée à Arnaud. Avec le confinement, j'ai beaucoup regardé Netflix et j'ai découvert une série et un documentaire sur le sujet. On évoquait le cas de cette jeune fille qui avait quitté son Canada pour la première fois et qui avait été retrouvée noyée dans une citerne sur la terrasse de l'hôtel. On disait que le lieu avait été fréquenté par des tueurs en série. C'est un sujet qui me fascine. J'avais commencé à écrire le texte mais je suis resté bloqué. 

- Il y a comme un sentiment d'allégresse dans la dernière chanson de l'album "Paris, je suis en vie" ?
Elle me résume bien ! Au début, le titre me faisait  peur car je trouvais qu'il faisait un peu préhistoire.

- Tu as choisi volontairement une formation musicale réduite ?
L'idée n'était pas de venir avec 25 musiciens ! Sur scène, il y aura juste un piano et un violoncelle. Ça  m'oblige à épurer les chansons. On écoute vraiment les mots.  

- En parlant de scène, ce retour aux Bouffes du Nord quarante ans après, c'est assez symbolique, non ?

Dans mes rêves les plus fous, je n'imaginais pas y revenir. J'avais chanté là-bas durant un mois à guichets fermés en septembre 1982. A l'époque, j'avais inauguré la programmation chanson.  C'est un challenge car cette salle est difficile. Tous les gestes sont décuplés. Nous passons au milieu du spectacle "Tempest Project", autour de "La Tempête" de William Shakespeare, adapté et mis en scène par Peter Brook et Marie-Hélène Estienne. Du coup, je vais chanter avec les éclairages de La Tempête !

- "Avec des si" aurait pu ressembler à des regrets ?
Non. C'est plutôt tourné vers le futur qui reste !


- Album "Avec des si" (Tacet/L'Autre Distribution), disponible depuis le 25 mars 2022

- En concert le 25 avril, à 20h30, au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis, boulevard de La Chapelle, 75010 Paris. Tél.:01.46.07.34.50. Loc. points de vente habituels et sur location@bouffesdunord.com


24 mars 2022

Minino Garay: "j'aime casser les codes"

(c) Eve Grymberg

Compositeur et percussionniste natif de Cordoba en Argentine, Minino Garay a notamment joué auprès d'artistes comme Dee Dee Bridgewater, Mercedes Sosa, Christophe, Benjamin Biolay, François Béranger, Richard Galliano, Nilda Fernandez... Et, depuis sa rencontre avec la poétesse et chanteuse Dana Bryant, il cultive une véritable passion pour le Spoken word. De la poésie chantée sur fond de beat et d'improvisations instrumentales, considérée comme l'ancêtre du slam. Un mouvement qu'il a transposé à sa "sauce" en y mêlant son goût pour le jazz et les traditions rythmiques argentines, sous le nom de "Speaking Tango". C'est d'ailleurs le titre choisi pour son nouvel album, enregistré entre Paris et Buenos Aires avec de prestigieux musiciens: le batteur André Ceccarelli, le batteur Pipi Piazzolla (petit-fils du légendaire Astor), les guitaristes Jean Marie Ecay et Emmanuel Codjia, le pianiste Hernan Jacinto, Magic Malik à la flûte traversière et au chant, Christophe Wallemme et Flavio Romero (contrebasses)...
Onze titres qui parlent d'amour, de politique, de la vie de tous les jours, qu'il interprète d'une voix tour à tour forte ou caressante.
Rencontre avec le plus parisien des artistes argentins, qui vit dans la capitale depuis une trentaine d'années. 

- Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le"Speaking Tango" ?
Il y a une vingtaine d'années, j'ai commencé à mettre un ou deux titres de poésie parlée sur chacun de mes albums. Celui-ci est entièrement dédié au Speaking Tango.  Il y a des textes parfois anciens comme "No Son Los Muertos", du poète espagnol Gustavo Adolfo Bécquer, qui date du 19ème siècle ou celui de l'argentin Baldomero Fernandez Moreno "En Lo Mas Profundo de Ella". Des textes plus récents d'auteurs comme Adriana Cattanio ou Eduardo Torezani. Après, je les sors un peu de leur contexte et je les "musicalise" en improvisant sur des rythmes de tango et de jazz, avec quelques onomatopées. J'ai moi-même co-composé et co-écrit quelques titres.  

- Vous avez notamment travaillé avec une poétesse qui vous est chère ?
 Il s'agit de ma mère Nury Taborda. C'est une littéraire. Elle a été professeur à l'université. Elle m'a fait découvrir un certain nombre de poètes. Elle a écrit deux textes et nous avons travaillé ensemble sur trois autres titres. Elle a même co-signé "Boca con Boca" avec ma compagne Alex Pandev qui fait aussi des voix sur l'album. 

Minino Garay et Alex Pandev


- Vous avez également créé un groupe de percussionnistes ?
Oui, les Frapadingos. Ce sont des musiciens qui viennent de différents pays. J'aime mélanger les genres, casser les codes. Je me suis auto-proclamé DJ de cultures. Je donne le tempo, la pulsation. L'un démarre avec un truc de son pays, un autre enchaîne et tout s'articule. Je vais prochainement aller voir Bartabas. J'aimerais bien faire quelque chose avec lui.

- Pour "Speaking Tango" vous avez réuni la fine fleur des musiciens ?
 Je vais toujours chercher des gens que j'admire. J'ai besoin de solidité. André Ceccarelli par exemple a changé ma vie. A la suite d'un article sur mon premier album, il m'a appelé pour jouer sur le sien. 

- Vous aurez quelle formation pour vos prochains concerts au Sunside ?
Le 24 mars, je serai avec Manu Codjia, Cédric Hanriot et Christophe Wallemme, le 25 mars avec Jean Marie Ecay, Cédric Hanriot et Pato Lisboa et le 26 mars, toujours Cédric et Christophe avec Lionel Suarez. Je vais également jouer quelques titres de mon album à la Philharmonie de Paris (le 21 mai), dans le cadre d'un week-end tango.

- Faire des percussions tout en chantant, ce n'est pas un peu compliqué ?
Je continue à travailler tous les jours. La difficulté est de jouer en évitant que la voix tremble.

- Avec cet album, vous donnez une image plus contemporaine au tango que certains jugent un peu désuet, non ?
C'est vrai que ce projet est hybride. Moi, si je m'ennuie, je me dis que le public va s'ennuyer aussi. J'espère toucher les jeunes générations, comme j'aurais aimé qu'on vienne me chercher lorsque j'avais  vingt ans...

- Album "Speaking Tango" (SunnySide Records/Socadisc), disponible depuis le 11 mars 2022.
- En concert les 24, 25 et 26 mars 2022, à 20h30, au Sunside, 60, rue des Lombards, 75001 Paris. Tél.: 01.40.26.46.60. et le 21 mai 2022, à 20h30 (dans le cadre du programme "Week-end tango") à la Philharmonie de Paris, 211, av. Jean-Jaurès, 75019 Paris. Tél.:01.44.84.44.84.
- En tournée: du 10 au 18 avril 2022 au Mexique et du 20 au 30 avril 2022 au Cameroun.
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13 mars 2022

"Diamond Dance": une virtuose rencontre entre hip-hop et danse classique

 


L'idée est pour le moins originale, voire inédite: proposer un spectacle mêlant deux planètes que l'on croyait à des années-lumière: celle du hip-hop et celle de la danse classique. Imaginé par Virginie Bambenet et Julie Dayan, dans une mise en scène de Michael Xerri et des chorégraphies de Sophiane Boukabache, "Diamond Dance" bouscule les codes et les idées reçues.

On passera sur l'intrigue reposant sur la préparation d'un concours et l'idylle naissante entre le chef de bande Raph et la jeune étoile Marie, les textes remplis de bons sentiments déclamés par un rappeur, pour braquer les projecteurs sur l'essentiel: la virtuosité des danseurs et les vidéos époustouflantes qui défilent en fond de scène avec un synchronisme parfait. On retient notamment son souffle devant le tableau, très réaliste, de l'incendie ravageant le local des danseurs de hip-hop, la course-poursuite effrénée sur des échelles ou la poésie du ballet sur fond de sous-bois aux couleurs automnales. L'autre réussite est un trio à cordes (alto, violon et violoncelle) qui trouve harmonieusement sa place dans le décor. 



Un spectacle débordant d'énergie et de prouesses acrobatiques, ponctué de battles exécutées par des danseurs capables de remiser tutus, chaussons, jeans ou baskets pour endosser d'autres costumes. 

A la sortie, on serait presque tenté de se lancer dans un petit entrechat de bonne humeur... 


Jusqu'au 10 avril 2022, à 21h, le samedi à 17h et 21h et matinée le dimanche à 17h, au 13èmeArt, Centre Commercial Italie Deux, Avenue d'Italie, 75013 Paris. Tél.: 01.48.28.53.53. Loc. points de vente habituels et sur le site www.le13emeart.com 

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Kaz Hawkins: une voix qui donne le frisson

 


Dès les premières notes de "Play", la chanson qui ouvre l' album "My Life And I", on est saisi par l'émotion car la voix de Kaz Hawkins nous ramène aux grandes pages de l'histoire du blues, du rhythm'n blues, de la soul... 

Pourtant, la chanteuse n'a pas grandi du côté des rives du Mississippi mais dans les faubourgs de Belfast, en Irlande du Nord. Et si le public de festivals comme "Cognac Blues Passions" ou "Blues autour du Zinc" (à Beauvais) lui a réservé un accueil enthousiaste, elle est encore peu connue en France. D'où l'attrait (et il n'est pas le seul !)  de ce best of qui permet de découvrir le parcours de cette artiste hors du commun. Un parcours que l'on devine accidenté au travers de chansons comme "One More Fight (Lipstick and Cocaïne) ou "Surviving". Mais au-delà de ces accents douloureux, Kaz sait aussi nous faire partager la liesse des choeurs de gospel  ("Hallelujah Happy People"),  la tendresse d'une mère qui voit sa fille quitter le cocon familial ("Because You Love Me") ou nous emporter sur une piste de danse avec l'étourdissant "Shake".  Au passage, elle rend également hommage à son compatriote Van Morrison avec la reprise de "Full Force Gale" et à son idole de toujours Etta James pour de superbes   versions de "At Last" et "Something's Gotta Hold On Me". Une artiste dont elle a même même emprunté le nom puisque l'inoubliable interprète de "W-O-M-A-N" (en réponse au "I'm A Man" de Muddy Waters) était née Jamesetta Hawkins. 


 

Outre une voix rauque et puissante qui donne immédiatement le frisson, Kaz Hawkins a également cette  capacité de faire passer toute une gamme d'émotions. Ceux qui ont eu la chance de la découvrir sur scène  ne risquent pas d'oublier son charisme, ses mimiques malicieuses, son énergie et cette manière de balayer le passé d'un magistral revers. Comme si les épreuves avaient renforcé sa foi en l'avenir. Et, à l'écoute de "My Life And I", on ne prend pas un trop grand risque en affirmant qu'il s'annonce radieux... 

 - Album "My Life And I" (Dixiefrog/Pias), disponible le 8 avril 2022.

- En concert: le 31 mars 2022, à 20h30, au Jazz Club Etoile, 81, Bd Gouvion-Saint-Cyr, 75017 Paris. Tél.: 01.40.68.30.42. www.jazzclub-paris.com

- En tournée: le 1er avril 2022 à Saint Remy Les Chevreuses (Jazz à Toute Heure Festival), le 23 avril à Calais (Beautiful Swamp Festival), le 28 avril à La Ferté Bernard (Centre Culturel Athena), le 10 juin à Marnaz (Nuit du Blues), le 24 juin à Carpentras (Festival Luzon Le Blues), le 2 juillet à Kuttolsheim (Festival de la Grange Rock), le 14 juillet à Saintes (Quai du Blues), le 16 juillet à Cahors (Cahors Blues Festival)..

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