21 nov. 2013

Yanowski: sombre et fascinant



(c) Victor Quézada-Pérez
Dès qu’il arrive sur scène avec sa silhouette dégingandée,  l’œil charbonneux, Yanowski nous emporte, d’un coup de redingote, dans son univers halluciné et fantasque. Il y a chez cet artiste une intensité, une grandiloquence, une gestuelle théâtrale qui font songer à Brel.
Après une douzaine d’année au sein du Cirque des Mirages, avec son acolyte Fred Parker, un spectacle dans la veine des cabarets expressionnistes allemands, il a décidé de se lancer en solo avec « La Passe interdite », dont il a écrit et composé toutes les chansons.  Enfin pas tout-à-fait en solo puisqu’il a eu l’heureuse idée de s’entourer du grand pianiste Gustavo Beytelmann  (qui a notamment travaillé aux côtés d'Astor Piazolla, Catherine Ringer, Gotan Project…) et du virtuose violoniste Cyril Garac. Durant une heure trente, ce personnage aux allures de Méphisto nous invite à le suivre dans la chaleur moite et les odeurs de souffre des bouges de Buenos-Aires, nous guide au cœur d'un cabaret slave où, entre chien et loup, on donne un ultime concert, nous fait partager les angoisses d’un homme face à son miroir…
Doté d'un timbre puissant et prenant, il chante l’amour, la désillusion, la mort… mais s’envole aussi dans des pirouettes jubilatoires révélant cette dualité qui sommeille en chacun de nous. Une fascination pour l'ombre et la lumière qui nous fait passer, en un instant, de l'exaltation à la mélancolie. On sort de cette « Passe interdite », bousculé et transporté.
Annie Grandjanin

Les 29 et 30 janvier 2014, à 20 h 30, Salle Gaveau, 45-47, rue de la Boëtie, 75008 Paris. Tél.: 01.49.53.05.07 http://www.sallegaveau.com

20 nov. 2013

Le charme subtil et espiègle d'Enzo Enzo

(c) Martin Zayas
Depuis plus de vingt ans, cette artiste au timbre feutré et délicat nous emmène au gré de ses aventures musicales, de ses parenthèses d’actrice ou de conteuse pour les enfants…
 Il y a en effet belle lurette que l’ex-régisseuse du groupe Téléphone et bassiste du groupe Lili Drop a troqué sa panoplie de rockeuse contre une carrière solo consacrée à la chanson française. Un virage couronné  par deux Victoires de la Musique, en 1995, dans les catégories interprète et chanson de l’année, avec « Juste quelqu’un de bien » (écrit par Kent). « J’aime tenter de nouvelles expériences musicales mais j’ai définitivement renoncé à me lancer dans le rhythm’n’blues. Avec la voix que je trimbale, cela m’irait comme des moufles à une coccinelle » s’amusait-elle à l’époque. De coccinelles, il est d’ailleurs question dans la chanson « Fais-moi une fleur », mais aussi du « Goût de l’eau », de « Sablier » ….Des titres extraits du spectacle « Enzo Enzo chante Marie Nimier ». Hormis Art Mengo qui a composé l’essentiel des musiques (et la collaboration de Daniel Lavoie Jean Rouaud, Marc Estève…), ce cabaret littéraire est incontestablement une affaire de femmes ! Mise en scène par Isabelle de Botton, accompagnée par Delphine Gosseries (au violoncelle) et Hélène Weissenbacher (au piano), Enzo Enzo se balade avec une grâce subtile et espiègle dans les textes de Marie Nimier, alternant chansons et lecture d’extraits de romans. Ne prenez pas le risque de rater ce beau moment de poésie, à la fois moderne et intemporel, vous pourriez bien en rester « inconsolables »….
Annie Grandjanin

Le 29 novembre, à 20 heures, aux Trois Baudets, 64, boulevard de Clichy, 75018 Paris. Tél. :O1.42.62.33.33. www.lestroisbaudets.com. Et le 16 janvier 2014 au Jardin d’Acclimatation.

18 nov. 2013

Madeleine Besson: "je n'ai pas peur de me mettre à nu"



Son nom et son visage ne vous sont pas inconnus ? Madeleine est la fille de Benno Besson, metteur en scène, qui créa notamment le Berliner Ensemble avec Bertolt Brecht. Et elle a tenu le rôle de Marie dans  « 18 ans après » le film de sa maman Coline Serreau.
(c) Céline Sadonnet/Abacaba
Côté filiation musicale, en revanche, c’est le blues et le rock qui coulent dans ses veines. Qui bouillonne plutôt car, sur scène, cette artiste explose littéralement. Certains n’hésitent pas à évoquer Janis Joplin ou Aretha Franklin. Son timbre à la fois furieux et mélodieux, son incroyable énergie avaient déjà fait craquer le public des Musik’Elles où elle fut programmée en 2010 dans la catégorie « Coup de cœur ». Elle s’est également produite au Festival des Vieilles Charrues (où elle a croisé Lou Reed), a assuré les premières parties des BB Brunes ou encore de Cyndi Lauper à l’Olympia. « Voir mon nom sur le fronton de cette salle, c’était  magique » se souvient-elle. Alors, pourquoi Madeleine Besson n’a-t-elle pas encore les honneurs des grandes scènes en vedette ? Tout simplement parce que la demoiselle qui a beaucoup fréquenté les coulisses des théâtres et les plateaux de cinéma, connaît bien les pièges de ce métier. Fougueuse mais avisée, elle a travaillé « à l’ancienne », tout en écrivant et composant dans la solitude de sa chambre d’étudiante : formations à la Bill Evans Piano Academy, à l’école de Didier Lockwood, à la New York University for Jazz and Contemporary Music, concerts dans les bars, les clubs…… Bref, elle a cultivé ses atouts et enchaîné les expériences,  avant d’envisager l’enregistrement de ses chansons. « J’ai besoin d’avoir confiance. Aujourd’hui, je me sens plus mâture. Je n’ai pas peur de me mettre à nu. Les bases de ce métier, c’est d’essayer des choses et de gagner le respect de ses musiciens » confie-t-elle. En tout cas, elle a gagné celui de David Coulter (Arthur H, les Pogues, Tom Waits…) qui a réalisé « The Walker », un single sorti le 5 novembre dernier en attendant l’album prévu en mars prochain.  Des chansons essentiellement en anglais. « Je pense en français mais les mots sortent en anglais » explique Madeleine qui a passé son enfance à Los Angeles et revendique sa double culture. Cela dit, elle ne refuse pas l’idée de collaborer avec d’autres auteurs. « J’ai appris à être interprète. C’est un challenge qui me plaît. Comme de chanter devant des gens qui ne me connaissent pas et de les convaincre ».  Tout en confirmant un virage nettement rock-pop dans son répertoire, elle a eu la bonne idée de laisser tomber le perfecto pour une tenue plus glamour qui met en valeur les multiples facettes de son talent. Et du talent, elle en a à revendre !
Annie Grandjanin

« The Walker » (Abacaba). 

16 nov. 2013

La Famille Semianyki: une loufoque smala russe



Ils ont débarqué pour la première fois en France, en 2003, au Festival Off d’Avignon avant de tenir l’affiche pour une cinquantaine de dates au Théâtre du Rond-Point en 2011. Cette fois, c’est sur la scène du Palace que ces six clowns issus du fameux teatr Licedei de Leningrad, installent leur décor de bric-à-brac. Sans paroles, jouant essentiellement sur la gestuelle et le comique de situation, le spectacle donne l’image d’une famille ubuesque, totalement frappadingue : la mère enceinte jusqu’au cou joue de ses charmes volumineux pour retenir un mari picoleur qui menace constamment de faire sa valise, tandis que le passe-temps favori de leur marmaille (3 filles et 1 garçon) consiste à imaginer comment tuer le père tout en faisant tourner la mère en bourrique ! Avec sa couche-culotte et sa tétine, la petite dernière rappelle un peu Maggie Simpson. Au début, on a un peu de mal à entrer dans l’univers absurde de cette loufoque smala russe. Mais très vite, on se laisse emporter par l’enchaînement de gags de haute volée comme le numéro de chef d’orchestre du fils échevelé, celui du père, les bras immobilisés par un bâton de ski, tentant de boire sa vodka ou d’allumer une cigarette, la fille armée d’une lampe torche qui cherche son père dans la salle… jusqu’à la scène finale qui part totalement en vrille. Du grand art burlesque !
Annie Grandjanin
Jusqu’au 5 janvier au Palace, 8, rue du Faubourg Montmartre, 75009 Paris. Du mar. au sam. à 19 h 30, mat. sam. et dim. à 16 h. Tél. : 01.40.22.60.00. www.theatrelepalace.fr

15 nov. 2013

Parade Fauve: entre rire et émotion


(c) Pascal Lafay

Parmi toutes les commémorations qui entourent le centenaire de la Grande Guerre, cette « Parade Fauve » apparaît comme un témoignage rare puisqu’elle donne notamment la parole aux Poilus. Serge Hureau et ses complices du Hall de la Chanson, ont en effet effectué un véritable travail d’historien en sortant de l’anonymat des textes comme « Dans les tranchées de Lagny », sur l’air de « Sous les ponts de Paris » de Vincent Scotto. Dans un décor de camouflage dont on apprend que les motifs ont été inventés par les peintres d’avant-garde de 14-18, le spectacle démarre par des couplets revanchards : « Le rêve passe », « Ce que c’est qu’un drapeau », « le violon brisé »…
 Sur scène, Serge qui endosse aussi les rôles du narrateur ou du fameux comique-troupier, est accompagné par deux artistes talentueux : Manon Landowski et Olivier Hussenet. Au fil d’une revue qui passe de l’émotion au rire, du patriotisme au désespoir, on découvre des interprétations inédites de succès comme «Lied eines jungen wachtpostens », la version d’origine de Lili Marleen ou «  Quand Madelon », qui prend ici les accents d’une complainte. Soutenus par deux musiciens Cyrille Lehn (piano) et Lionel Privat (guitares et percussions) qui utilisent également des instruments de poilus, dont un reconstruit pour l’occasion, les artistes revisitent le répertoire de l’époque : « Au bois le Prêtre », «Avec Bidasse »… sans oublier le surprenant « Hanging on the Old Barbed Wire », d’un anonyme britannique, sur l’air de « The British Grenadiers » (dans la version textuelle du groupe Chumbawamba, 1988). 
Au-delà du spectacle, c’est toute une page de l’histoire qui est illustrée ici par le biais de chansons dont quelques-unes ont survécu au temps pour s’inscrire dans la mémoire collective.
Une parade qui se termine par le poème « Bleuet » de Guillaume Apollinaire (datant de 1917 et mis en musique par Francis Poulenc en 1939). Un clin d’œil, sans doute, à ces combattants qui sont peut-être partis « la fleur au fusil » mais qui, après quelques mois dans les tranchées, parlent aussi de la peur, du sacrifice et de la solitude.
Annie Grandjanin

Le 23 novembre à 20 h 30 et le 24 novembre, à 16 h, Hall de la Chanson, Pavillon du Charolais, 211, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris. Tél. : 01.53.72.43.01. www.lehall.com
(ce spectacle a reçu le label "centenaire" délivré par la Mission du Centenaire de la Première Guerre Mondiale).

8 nov. 2013

Bertrand Louis électrise la poésie de Philippe Muray

(c) Thibaut Derien

Dans ses précédents albums, Bertrand Louis nous régalait volontiers de citations littéraires. Avec « Sans moi », il s’est plongé dans l’univers de l’essayiste Philippe Muray. Douze textes extraits du recueil « Minimum Respect », paru en 2003, peu de temps avant la mort de l’auteur. Un auteur qui toute sa vie a porté un regard perçant, désabusé et ironique sur le monde et ses contemporains.
Étrangement, le premier roman de Muray s’intitulait « Chant pluriel »...Le résultat de cette œuvre commune puisque Bertrand a composé toutes les musiques est d’une rare et belle intensité. Sur scène, entre ballades envoûtantes et envolées très électriques, grâce à la complicité de l’excellent guitariste Jérôme Castel, le timbre prenant du chanteur, imprégné par la rage et l’humour grinçant de Muray,  nous embarque d’emblée dans des morceaux comme « Ce que j’aime », « Lâche-moi tout », « Sans moi » ou encore « Futur éternel de substitution ». L’heure est grave, mais pas vraiment désespérée ! En effet, les accents rock et énergiques que Bertrand Louis apporte aux sentences sombres de Muray donnent à l'ensemble un côté jubilatoire. A noter également, la lumineuse présence de la chanteuse Lisa Portelli. Petite facétie de l’artiste,  la doublure léopard de sa veste noire qu’il laisse entrevoir entre deux accords au piano. On n’est pas à l’abri d’un beau succès…
Annie Grandjanin

Ce soir, à 20h30 et les 13 et 15 Janvier 2014, à l’Espace Christian Dente/Manufacture de la Chanson, 124, avenue de la République 75011 Paris. Tél. : 01.43.58.19.94. www.manufacturechanson.org
Album « Sans moi » (MVS Records)

Frédéric Zeitoun : une belle et joyeuse leçon de vie

Il a baptisé son spectacle (coécrit avec François d’Epenoux)  « L’histoire enchantée du petit juif à roulettes »
 Après un début un peu déroutant, on entre rapidement au cœur du sujet : un spectacle sur la différence. Et, même si le chroniqueur musical balaye les embûches rencontrées d’un tour de roue parfois grinçant, le ton est le plus souvent celui de l’humour, de la tendresse. Que ce soit pour évoquer ses années d’écolier pas comme les autres, ses premiers émois d’adolescent où il jouait surtout le rôle du confident ou ses débuts à la télévision grâce à Jacques Martin. Entrecoupé de séquences d’actualités, de chansons drôles et touchantes comme « Mes vacances chez Franco », ce spectacle, mis en scène par Alain Sachs, nous interpelle, entre deux éclats de rire, sur le handicap, la religion, l’ignorance, le libre arbitre…
Accompagné par la violoncelliste Cécile Girard (qui incarne également Madame la Vie) et l’accordéoniste Anthony Doux,  Frédéric nous émeut et nous fait rire. Notamment  lorsqu’il raconte les vendredis soir en famille, les parfums épicés de son enfance ou encore l’arrivée d’un bébé à la maison, malgré la démission des cigognes. Une belle et joyeuse leçon de vie...
Annie Grandjanin

Jusqu’au 30 décembre, les dim. à 19h et les lun. à 21h, à la Gaîté Montparnasse, 26, rue de la Gaîté, 75014 Paris. Tél. : 01.43.22.16.18. www.gaite.fr

4 nov. 2013

Manu Katché: "mon destin est incroyable !"


Sa créativité, son groove, le son particulier de ses drums ont fait de Manu Katché l’un des batteurs les plus polyvalents et recherchés de sa génération. Il a accompagné les grands noms de la pop internationale et du jazz, de Peter Gabriel à Sting en passant par Marcus Miller, Herbie Hancock, Jan Garbarek… Des rencontres, qu’il évoque dans  « Road Book », un ouvrage sorti il y a quelques jours….
Comment qualifier ce livre : mémoires, souvenirs ?
- S’il s’agissait de mémoires, il ferait 600 pages ! Ce sont juste des anecdotes avec des artistes internationaux et une récapitulation très succincte de mes années françaises. L’idée était de témoigner de mon parcours. Celui d’un môme de banlieue qui a joué avec des dinosaures de la musique.
Vous n’avez pas la réputation de « brosser les gens dans le sens du poil ». Pourtant, ici, vous ne parlez que de gens que vous aimez ?
Généralement, quand vous évoquez vos souvenirs, ce sont les jolies choses qui vous reviennent. Même avec Mark Knopfler, un mec difficile d’accès, mais cela s’est arrangé à la fin…
On découvre notamment que vous avez refusé de travailler avec Mick Jagger ?
J’étais évidemment flatté qu’il m’appelle et je me souviens que lorsque j’ai dit non, il y a eu un blanc au bout du fil. J’ai beaucoup aimé les Stones. Mick est quelqu’un d’élégant et de sympathique mais, à l’écoute de la cassette, je ne voyais pas ce que je pouvais apporter de plus avec mon style. Nous aurions été frustrés tous les deux. Il faut connaître ses limites. C’est  d’ailleurs pour ça que je suis resté en France.
C’est-à-dire ?
Parce que je ne serais peut-être pas allé à l’essentiel. Je me serais banalisé.
Vous ne tarissez pas d’éloges sur Peter Gabriel en affirmant qu’il a déclenché ce que vous alliez devenir ?
J’ai eu la chance de suivre une formation classique. J’ai appris les rudiments de la musique avec une approche complètement neutre. J’avais quelques références dans le jazz et la soul mais, au début, je lisais les partitions. En séance d’enregistrement, on me disait de jouer comme untel. Lorsque j’ai rencontré Peter, il m’a demandé de jouer comme je le sentais. Cela m’a un peu paniqué car c’était la première fois qu’on me tenait ce discours. Il m’a fait confiance et est allé chercher chez moi ce qui était en gestation. C’est à partir de là que j’ai vraiment développé mon style. Peter est un humaniste, à l’écoute des autres.
Vous lui avez pourtant raccroché au nez deux fois ?
C’est vrai. Il m’a téléphoné alors que j’étais au ski avec des copains et j’ai cru à une blague de leur part. Ce n’est qu’au troisième appel que j’ai réalisé que l’accent de mon interlocuteur était vraiment très british. Je n’ai jamais su comment il avait trouvé le numéro de mon hôtel à l’Alpe d’Huez !
Vous terminez « Road Book » sur Herbie Hancock, que vous appelez le patron ?
Herbie, c’est toute mon enfance. Je suis dingue de lui depuis toujours. Mon destin est incroyable et le rencontrer, ce fut la cerise sur le gâteau.
Vous n’avez jamais raté de rendez-vous ?
Si, bien sûr. L’une de mes frustrations est de ne pas avoir joué avec Miles Davis !
Peut-on dire que ce livre prouve qu’on n’est pas forcément né du mauvais côté de la Manche ou de l’Atlantique ?
C’est en effet l’idée. Même si, dans le jazz, les musiciens européens n'ont rien à envier aux américains ! Bien au-delà de la bonne étoile, j'ai voulu montrer qu’il y a des rencontres qui doivent se faire. C’est la force du milieu artistique. Quand j’étais jeune, on ne parlait pas d’intégration. Si j'ai un message à faire passer, c'est qu'il faut bosser, se donner les moyens. Il n’y a pas de gens inaccessibles…
Propos recueillis par Annie Grandjanin

« Road Book » (Ed. Le Cherche Midi), 224 pages, 16,50 €.