29 avr. 2021

Antoine Bataille : "Ma démarche est solitaire mais joyeuse"

(c) Vladimir Vatsev
Auteur, compositeur, musicien, créateur de sons pour le théâtre et le cinéma, Antoine Bataille a notamment développé ses "Fugues bâtardes" au Théâtre des Déchargeurs,  participé à un hommage à Jean Giono à La Criée de Marseille, travaillé sur des lectures musicales autour de textes de Robert Desnos, joué et signé la musique du spectacle "Le journal d'une apparition" d'après Robert Desnos, au Théâtre National de Chaillot... Un parcours atypique durant lequel il a cultivé et partagé son goût pour la poésie, les créations et les expérimentations.
Le 2 avril dernier, il a sorti "De l'indécence", son quinzième album ! Après les sensuelles déclarations  d'amour de "Crescent Hotel", ce nouvel opus confirme, une fois encore, le talent d'un artiste dont la quête nous emmène bien loin des chemins balisés de la chanson. 
Accompagné d'un trio composé de Khoa-Vu Nguyen (violons, cordes, percussions), Mika Benet (claviers, percussions) et Vladimir Vatsev au saxophone, lui-même assurant les parties pianos, voix, claviers et percussions, Antoine Bataille nous offre ici quatorze titres (dont trois textes de Guillaume Apollinaire, Roger Gilbert-Lecomte et Fernando Pessoa) d'une belle et fiévreuse intensité.


- Dans votre premier album "Muti", les textes étaient signés Marie Bataille ?
Il s'agit de ma maman. Elle est écrivain et fait partie de ces auteurs qui ont construit une oeuvre, non pas pour la diffuser ou qu'elle leur survive, mais par nécessité.

- C'est aussi ce qui vous anime ?
J'oscille en permanence entre l'extérieur et l'intérieur. Pendant des années, mes albums ont été très peu diffusés parce que je m'en fichais. Pour moi, l'important était que l'objet existe et je passais très vite à autre chose.  J'ai vécu des moments fertiles en créations et en rencontres. Avec Marcel Kanche, mon complice de toujours, nous partageons cette furieuse nécessité de solitude et en même temps cette gourmandise très enfantine avec laquelle nous aimons creuser, chercher et découvrir. C'est une manière de ne jamais être dans le confort.

- Vous avez créé un label avec lui pour vous sentir plus libre ?
C'est vrai que c'est une forme de liberté mais ce n'est absolument pas revendicatif de ma part. J'avais surtout le désir de savoir comment tout cela fonctionne. 

- Votre démarche artistique est plutôt atypique ?
L'idée est d'utiliser le mécanisme d'une autre manière. C'est par la marge que la page tient le cahier. Je considère que plus la montagne à franchir est grande, plus elle est désirable. Ma démarche est radicalement solitaire mais joyeuse !

- Quand on lit votre biographie, on ne trouve pas grand chose sur vos racines, votre formation musicale ?
C'est comme une bonne blague qui ne doit pas être expliquée. L'ambivalence est une richesse. Je peux vous dire que je n'ai pas fait le conservatoire parce que je sais ce qu'on peut y trouver et y perdre aussi. J'ai énormément de respect pour les gens qui ont suivi un parcours académique mais j'estime que, dans ce domaine, il n'y a pas qu'un seul chemin. J'ai eu la chance de rencontrer un professeur qui m'a donné une sorte de socle, sans jamais chercher à m'emmener dans son univers. 

- On vous qualifie de bricoleur de sons, cela vous convient ?
Le bricolage a quelque chose de gourmand qui me parle. J'aime l'idée de chercher, d'essayer sans notice pour utiliser et placer un micro, une pédale, un instrument...

- Certains vous perçoivent également comme un personnage hybride, né de la rencontre de Steve Reich et Erik Satie ?
Ce sont des questions que je ne me pose absolument pas. Ces mots ont été utilisés pour me présenter lors de certains concerts, mais sont-il encore valables ?

- Parlez-nous de votre passion pour Fernando Pessoa ?
C'est une obsession troublante.  Lorsque je travaillais sur "Puissé-je",  la première chanson de l'album, j'ai pris machinalement dans ma bibliothèque un recueil de ses correspondances et je suis tombé sur la phrase : "Puissé-je avoir ton allègre inconscience...". Pour moi, Pessoa est un choc permanent. Il y a une cohérence absolue entre ce qu'il a écrit et la manière de le diffuser. Quand on pense qu'une grande partie de son oeuvre était enfouie dans une malle ! 

- Album "De l'indécence" (Le Passage/L'Autre Distribution), disponible depuis le 2 avril 2021.
- Retrouvez cet article, ainsi que l'ensemble de l'actualité culturelle (musique, théâtre, festivals, littérature, évasion) sur le site www.weculte.com 

 

13 avr. 2021

Fanelly: "Pour moi, le métro était comme une sorte de laboratoire"

(c) Talos Bucellati

 Son nom commence à circuler en France et en Italie depuis la sortie, en mars dernier, de "Metro Stories". Et l'engouement devrait vite gagner les amoureux des mélodies enlevées, entre pop et jazz, des textes originaux, des arrangements subtils. Sans oublier ce timbre chantant hérité de la région des Pouilles où elle a grandi. Des chansons écrites, composées et arrangées par Fanelly (également guitariste), qui racontent toutes une histoire. Celle de personnages croisés dans le métro:  un"Superhero", "The Bubble Man", des employés au bord du "Burnout", un businessman en quête d'accomplissement dans "One Step Behind".... Enregistré entre la France et l'Italie, avec la contrebassiste Sélène Saint Aimé ( l'étoile montante du jazz), le guitariste Matthieu Barjolin, Davide Chiarelli à la batterie et aux percussions, ainsi que des guests sur des solos, cet opus auto-produit est l'une des belles surprises de ces dernières semaines. 

- Toutes les chansons ont vraiment été écrites dans le métro ?

Oui tout comme les mélodies. Il m'arrive aussi de peaufiner l'écriture la nuit et j'ai réalisé les démos de tous les instruments dans ma cave.

- Il  s'agit de personnages croisés au hasard des stations ?

Pour moi, le métro était comme une sorte de laboratoire. J'avais comme une projection de leur image pendant quelques instants. Et, derrière l'image que je recevais,  je me suis mise à imaginer leurs rêves, leurs frustrations, leurs espoirs. 

- La chanson "One Step Behind" évoque aussi les attentats de Paris en 2015 ?

Oui, même si je ne prononce jamais le mot. En fait, le besoin d'écrire est venu après la disparition de mon père et ces évènements tragiques qui se sont déroulés à Paris. C'était comme une thérapie, une manière de faire le deuil.

- Et l'envie de faire de la musique est paraît-il venue après un concert de Charlie Winston ?

J'aimais bien l'univers sensible et original de cet artiste, son coté pop-folk et spontané.  Dès le lendemain de ce concert au Casino de Paris, j'ai eu envie d'acheter une guitare et surtout d'apprendre à jouer car j'avais déjà 33 ans ! J'ai eu un excellent professeur et un fin pédagogue en la personne du guitariste Matthieu Barjolin qui m'a appris les premiers accords. J'ai commencé à composer au bout de quelques mois. 

- Un professeur que l'on retrouve parmi les musiciens de l'album ?

C'est vrai que c'est assez fou. J'ai hésité à lui demander car je ne me sentais pas assez légitime. Je débarquais un peu de nulle part mais j'avais une idée très claire de ce que je voulais.

- Dans le livret, on peut lire un extrait de "A une passante" de Baudelaire ("Les Fleurs du Mal)". Pourquoi ?

J'ai mis quelques lignes de ce poème au début du livret parce que j'avais le sentiment qu'il reflétait l'esprit que j'ai voulu mettre dans l'album, le caractère éphémère de toutes choses. Baudelaire imaginait tout un monde derrière cette femme.

- Pouvez-vous nous parler du titre étrange intitulé "Prélude" ?

En fait, il est né d'une erreur ! J'étais dans le métro et j'essayais de capter un refrain que j'avais enregistré. J'ai appuyé sur reverse sans le faire exprès et d'un seul coup, le morceau a pris un côté  mystérieux. Je l'ai conservé comme ça, sans rien changer.  La voix est a cappella et à l'envers. On me demande parfois dans quelle langue je chante !

- En parlant de langue, pourquoi avez-vous choisi de vous exprimer principalement en anglais ?

C'est venu spontanément car je parle souvent anglais lors de mes voyages et de mon travail dans le  marketing. Je me sens comme une citoyenne du monde et la langue n'a jamais été une barrière pour moi. Chanter des ma langue maternelle viendra probablement plus tard.

-  "Koria" est la seule chanson de l'album que vous interprétez en français et en italien ?

Pourtant,  Koria ne veut rien dire, ni en français ni en italien ! En fait, j'étais en train de travailler quelques accords de "Blackbird" de Paul McCartney sur les conseils de mon professeur. Ma fille qui avait alors 3 ans me sollicitait pour jouer. Je lui ai donc proposé d'inventer et détourner la signification de certains mots pour l'amuser. Comme je le chante dans ce titre: "Koria veut peut-être dire rêver, si j'en ai besoin..."

- Album "Metro Stories" (Tunecore/bandcamp), disponible depuis le 19 mars 2021.

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6 avr. 2021

Seb Le Bison: "On ne joue pas une musique pour les gens assis"


(c) Alain Fretet

En avril 2016, le groupe Western Machine avait sorti un premier album baptisé "From Lafayette To Sin City". Du rock fougueux comme ces chevaux attirés par l'odeur et la poussière des grands espaces. Derrière les rênes: Seb le Bison (guitariste et chanteur), François Jeannin (batteur remarqué au sein de Paris Combo) et Jésus La Vidange (à la basse). Pour "Shots Cuts", le nouvel opus (dans les bacs le 14 mai prochain), Taga Addams a remplacé Jésus à la basse mais un même souffle de liberté accompagne des titres comme "Going Back To Hollywood", "Betty Jane", "Western Dream", "Run Run" ou l'efficace reprise de Tom Petty "I Won't Back Down". Un souffle auquel le saxophoniste Mat le Rouge n'est peut-être pas étranger.
Entretien avec Seb le Bison (également aux commandes du label Bullit Records), entre deux riffs avec ses complices, dans un studio à Saint-Ouen. 
Seb Le Bison (c) Didier Bonin



- Western Machine, c'est avant tout une histoire de copains ?
Pour moi, l'aspect humain est essentiel. C'est comme une sorte de famille. Il faut que ça se passe comme ça, sinon un groupe ne tient pas.

- Vous avez pourtant  perdu Jésus en route ?
Il s'agissait de Marion qui se déguisait en homme sur scène. Elle a choisi de se consacrer à d'autres projets. Nous avons passé une annonce et Taga s'est présentée.

- Mat le Rouge, le saxophoniste,  prend une place de plus en plus importante dans l'aventure Western Machine ?
Au départ, nous sommes un trio et nous avons des musiciens supplémentaires sur les albums. Pour "Short Cuts", il y a le trompettiste Andrew Crocker et Mat au sax.  C'était un choix volontaire de ne pas le rattacher parce qu'il est tellement bon que son planning est plutôt chargé. Mais l'histoire fait qu'il existe vraiment dans le groupe. La porte reste ouverte...

Taga (c) Didier Bonin
- L'album sort sur votre propre label, ce n'est pas compliqué à gérer ?
 Mon héros, c'est Duke Ellington. Il a réussi à monter son entreprise tout en menant la carrière que l'on connaît.  Moi, l'image de l'artiste incapable de s'occuper de lui-même, j'en ai un peu marre.

- C'est une liberté mais aussi une contrainte ?
Il faut accepter de vivre plus chichement. Diminuer son envie de consommation en se disant que c'est le prix à payer. 

- Dans votre premier album, certains titres
faisaient  référence à des titres de films avec un net penchant pour ceux de Jim Jarmush ?
 La première fois que j'ai vu "Mistery Train", j'ai été totalement impressionné. Jarmush, c'est de la pure poésie.

- Les compositions et les textes se font toujours de manière collégiale dans le groupe ?
François Jeannin (c) Alain Fretet
Nous sommes très fans de la culture alternative. C'est notre mode de fonctionnement. Moi, j'arrive avec une idée, un riff. François écoute et on met en place un groove avec une première grille. Après, chacun joue ses parties.

- Pour "Short Cuts" vous avez franchi l'Atlantique ?
L'album a été enregistré à Montreuil mais c'est un ingé son américain qui a réalisé le mastering. Quant au mixage de "Going Back To Hollywood", il a été fait à Los Angeles. Nous sommes des cow-boys français, avec notre accent et on l'assume. Mais on regarde à l'Ouest ! 

- C'est dans cet esprit que vous portez des costumes sur scène ?

Nous sommes costumés, pas déguisés ! C'est important le côté visuel. Moi, le look jean-basket, je ne suis pas fan, sauf lorsqu'il s'agit des Ramones. Je fais beaucoup de cabaret, notamment avec ma compagne Juliette Dragon qui monte des revues burlesques. Lorsqu'on se produit sur scène, il faut sortir un peu de la réalité, faire le show. On ne joue pas une musique pour les gens assis.




- Album "Short Cuts" (Bullit Records), 
disponible le 14 mai 2021
- Retrouvez cet article, ainsi que l'ensemble de l'actualité culturelle (musique, théâtre, festivals, littérature, évasion) sur le site www.weculte.com