26 déc. 2021

André Manoukian: une brillante et savoureuse leçon de musique



Pianiste, compositeur, chroniqueur sur France Inter, ex-juré de l'émission Nouvelle Star sur M6... André Manoukian est aussi réputé pour son lyrisme verbal et son goût pour des apartés aussi savantes que savoureuses. Des qualités que l'on retrouve dans "Les notes qui s'aiment", un seul en scène truffé d'anecdotes dans lequel il évoque pêle-mêle sa jeunesse à Lyon, ses rencontres avec des chanteuses comme Liane Foly ou Michèle Torr,  ses racines arméniennes, Mozart, Beethoven, le jazz...
Entouré d'un clavier et d'un piano dont on aperçoit le mécanisme, il s'installe pour jouer, dos au public et sans partition,  avant de confesser "Je me suis tellement caché derrière les chanteurs !".  
Des chanteuses principalement car ce grand sentimental s'épanouit volontiers dans le rôle de Pygmalion. Revenant sur certaines ruptures,  il compare d'ailleurs la douleur à celle de la coupe du cordon ombilical avec une hache rouillée, sans anesthésie ! 
Entre deux savantes explications sur le bon usage "des notes qui s'aiment", il tord le cou à quelques idées reçues pour affirmer que la naissance du jazz se situerait à Paris, plus exactement dans les jardins des Tuileries où le peuple fêtait la mort de Robespierre (le 28 juillet 1794) et la fin de la terreur en exécutant le fameux "Quadrille des Tuileries" qui prendra plus tard le nom de cake-walk en Louisiane.
Il raconte ensuite l'histoire de "La lettre à Elise" de Beethoven qui s'adressait en fait à Thérèse, nous offre un résumé très personnel de Phèdre, la tragédie de Racine, rappelle que le pianiste Arthur Rubinstein fut le premier a être invité à se produire en Chine, sous Mao, nous montre comment modifier un son à l'aide d'une carte de crédit, cite le philosophe Gilles Deleuze... avant de nous résumer l'improbable lien entre le périnée d'une chanteuse et la transpiration dans la moustache du pianiste !
"Un compositeur, c'est quelqu'un qui entend ce que disent les notes" explique encore André Manoukian. Et, à n'en pas douter, ce dernier s'y entend pour rassembler néophytes et mélomanes autour d'une brillante et savoureuse leçon de musique.

- Le 27 décembre 2021, à 20h, au Théâtre de l'Oeuvre, 55, rue de Clichy, 75017 Paris. Tél.:01.44.53.88.88. www.theatredeloeuve.com.
En tournée: Les 12, 13, 14 janvier 2022 à Coppet (Suisse), le 21/01 à Livry-Gargan, le 28/01 à Wissou (91), le 29/01 à l'Arbresle (69), le 4/02 Le Locle (Suisse), le 13/03 à Avignon (84), les 16 et 17/03 à Montélimar (26)... et durant une semaine en septembre 2022 à l'Européen (5 rue Biot, 75017 Paris).

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8 déc. 2021

Caroline Montier: un sensuel et malicieux hommage à Juliette Gréco

(c) Matthieu Camille Colin

Lorsqu'elle ne se produit pas avec ses pétillantes et virevoltantes complices les Swinging Poules, Caroline Montier se pose au piano (ou prend son ukulélé) , le temps de rendre hommage à des icônes de la chanson française. 

Après son sensible et élégant récital consacré à Barbara en avril 2017, elle a troqué  sa tenue noire contre une longue robe rouge. Une couleur qui sied bien au sensuel et malicieux spectacle "Juliette Gréco, La Femme". Avec la collaboration artistique de Caroline Loeb, accompagnée à la contrebasse par Stephen Harrison ou Sylvain Dubrez (en alternance), Caroline donne, une fois encore, la mesure de son talent dans un exercice toujours périlleux. 

(c) Matthieu Camille Colin

Formée au lyrique,  sa voix s'adapte comme un gant à des chansons qui portent pourtant l'empreinte de leurs interprètes. Mais, comme pour son précédent spectacle, la chanteuse nous emmène avec intelligence et une évidente gourmandise dans des sentiers moins fréquentés. 

Ainsi, entre quelques citations de celle qui chantait si bien les poètes et des versions inspirées de "Jolie môme" ou "Déshabillez-moi"  on  (re)découvre les refrains de "La Lelluia" de Maurice Fanon, "Ta jalousie" de Jean-Loup Dabadie, "A la mort de Juju" d'Henri Tachan... 

Un tendre et joli moment de grâce..

Jusqu'au 25 janvier 2022, les lundis et mardis, à 21h à l'Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, 75004 Paris. Tél.:01.42.78.46.42. www.essaion.com

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4 déc. 2021

Amina: "je me considère comme une nomade des temps modernes"





Personne n'a oublié la chanson "C'est le dernier qui a parlé qui a raison", qui l'avait propulsée à la première place, ex-aequo avec la Suède, au concours de l'Eurovision en 1991. Une subtilité du règlement n'avait pas permis à Amina de remporter cette distinction. Mais elle en a eu bien d'autres ! Dès son premier album "Yalil" (en 1990), elle s'était imposée comme une pionnière de la fusion des cultures orientales et occidentales, du jazz, du reggae, du rap... Le disque sera d'ailleurs classé 5ème dans le prestigieux magazine Billboard. Un succès confirmé, deux ans plus tard, avec "Wa di yé", co-produit par Wasis Diop. Parallèlement, on découvre ses talents d'actrice dans des films de Lelouch, Bertolucci, Maïwen... tandis qu'elle prête sa voix pour la BO de "IP5" de Jean-Jacques Beinex.

Plus de 20 ans après "Annabi",  paru en avril 1999, elle présente "La lumière de mes choix". De magnifiques variations sur le thème de l'amour, réalisées et composées par Léonard Lasry sur des textes d'Elisa Point, dont Amina a signé les deux chansons en arabe "Radwoi" et "Taffi Nari". 

Rendez-vous  pour un entretien qui reprend comme si nous l'avions interrompu la veille... Avant de la retrouver sur la scène du Café de la Danse, en "Guest" lors du concert de Léonard Lasry,  le 9 décembre prochain. 

- Ce nouvel album est tout en douceur et retenue vocale. On vous a connue plus rebelle ?

J'étais plus jeune ! Avec l'âge on arrondit les angles. Ici, je suis dans le registre d'une actrice qui chante. Chaque morceau est comme un petit film et j'adore ça. J'aborde toutes les facettes de l'amour: la séduction, la passion, la trahison...

- C'est d'ailleurs l'amour qui vous a fait quitter la France ?

J'ai suivi un grand viking en Suède ! Nous habitions une cabane en bois au milieu des forêts. Là-bas, j'ai chanté avec des lapons,  par moins 25 degrés, sur des tapis de cérémonie. J'ai découvert combien les femmes étaient libres dans ce pays. Tout est organisé autour d'elles. J'ai aussi appris cette phrase: "n'attends pas la liberté, prends-la". Quand on est comme moi une chanteuse originaire du Maghreb, c'est un véritable dépaysement. J'ai aussi enregistré un album. 

- En fait, vous n'avez jamais cessé de chanter ?

J'ai donné des concerts en Chine, au Qatar, dans des clubs de jazz à New York...

- Et dans un opéra à Vienne ?

J'ai été contactée per le metteur en scène Luc Bondy. Il voulait que je chante dans l'opéra "Helena" au Burgtheater de Vienne. C'était une expérience totalement inédite pour moi, d'autant plus qu'il m'a également demandé d'écrire les parties pour les chanteurs alors que je ne sais pas lire une note ! Il voulait quelque chose de moderne et il a été tellement persuasif que j'ai accepté.  J'aime trouver le point de rencontre entre les cultures.

- Vous avez été une des pionnières dans ce domaine ?

C'est vrai que j'ai ouvert la porte et je  ne l'ai jamais laissée se refermer sur moi. Je ne m'autorise pas à m'ennuyer dans la vie. Je me considère comme une nomade des temps modernes. 

(c) Fabienne Carreira

- Quels ont été les arguments de Léonard Lasry pour vous convaincre ?

Cela n'a pas été très compliqué. J'avais adoré un court-métrage dont il était le compositeur. Je suis quelqu'un de spontané. J'ai dit à Léonard que j'aimais beaucoup ce qu'il faisait et que j'aimerais travailler avec lui. Nous avons échangé nos numéros de téléphone. 

- Votre collaboration a démarré de manière insolite , non ?

Il m'a contactée pour une publicité destinée à la Maison Cartier. Il s'agissait de la chanson "Radwoi" qui figure sur l'album. Un peu avant l'heure du rendez-vous, je me suis retrouvée à la porte de chez moi, sur le palier et en robe de chambre. Je n'avais plus le temps d'appeler un serrurier. J'ai donc demandé à une voisine de me prêter des foulards et des boucles d'oreilles et je suis partie comme ça !

- Comment avez-vous travaillé pour ce nouvel album ?

- J'avais très envie de chanter à nouveau en français. J'ai réalisé à quel point la poésie de cette langue me manquait. Léonard a travaillé comme un grand couturier qui crée une robe sur mesure. Il sublime le féminin et vous guide, l'air de rien, vers le beau et la lumière.  Dans notre duo sur "On est prié de se plaire", j'ai eu le sentiment qu'il épousait ma voix. Il a aussi révélé ma fragilité.

- Dans la chanson "Quand Jeanne M elle aime", vous rendez un bel hommage à Jeanne Moreau ?

- Je l'avais rencontrée sur un plateau de télévision et nous avons chanté ensemble dans un grand théâtre en Belgique. Nous avons partagé une belle complicité. 

- C'était une femme indépendante.  Un peu comme votre mère et votre grand-mère ?

Je suis professeur de yoga depuis 25 ans. Ma mère l'était également. Elle a été l'une des premières à l'époque. Quant à ma grand-mère, elle jouait du Oud et dansait le charleston en bas résilles ! Je me souviens que lorsque nous allions la voir pour nous plaindre de choses sans gravité, elle répliquait: "qui est mort ?" 

(c) Kilian Thomas

- C'est vous qui avez choisi le titre "La lumière de mes choix" ?

Oui parce que je trouve qu'il me ressemble. Une culture, une religion peuvent vous enfermer. Ce n'est pas un hasard si les pays guerriers empêchent les femmes de chanter. J'enseigne le yoga du son. Mon chant, c'est ce qui me relie aux étoiles et à la terre. Je pense que cet album nous élève. C'est important d'aller vers le rêve et de vivre en paix...


- Album "La lumière de mes choix" (29Music/Kuroneko), disponible depuis le 22 octobre dernier.

- Sur scène, lors du concert de Léonard Lasry, le 9 décembre 2021, à 20 heures, au Café de la Danse (5, Passage Louis-Philippe 75011 Paris).

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3 déc. 2021

Les vies multiples de Léonard Lasry

(c) Kilian Thomas

Quand on se penche sur son parcours, on a du mal à réaliser qu'il n'a pas encore fêté ses quarante ans ! Boulimie artistique ? Peur du vide ? Et si Léonard Lasry était tout simplement un passionné dont les compositions intemporelles sont justement dans l'air du temps ? Il a imaginé ses premières mélodies à 10 ans, enregistré son premier disque "Des illusions" à 24 ans. Après avoir monté son propre label "29 Music", il s'est associé avec son frère pour lancer une marque de lunettes "Thierry Lasry", s'est attelé au projet "L'Exception", une performance vidéo autour du cinéma des années 60, a travaillé avec la photographe et styliste Maripol avec qui il a enregistré quelques chansons... Et lorsqu'il avait encore un peu de loisir, il a composé les bandes-son de collections de mode (Hugo Boss, Valentino, Dior...), animé "Les mercredis de Léonard Lasry" chez Castel et assuré la production du titre "Strip-Tease-moi" pour le Crazy Horse, un cabaret où a d'ailleurs été l'un des rares artistes masculins à se produire.

Récemment, il a également composé cinq chansons sur le dernier album de Sylvie Vartan, persuadé  Amina de rompre un long silence discographique pour "La lumière de mes choix" dont il a signé la réalisation et les mélodies et, le 19 novembre dernier, il a réédité son opus "Au hasard cet espoir" dans lequel on trouve notamment un beau duo avec Charlotte Rampling sur "Via Condotti". Rencontre avant son concert parisien au Café de la Danse, le 9 décembre prochain.

- En découvrant votre biographie, on a le sentiment que vous avez déjà vécu 2 ou 3 vies ? 

Mon premier album est sorti il y a tout juste 15 ans. Depuis, il y a eu des envies, des rencontres avec artistes que j'aime beaucoup et des projets qui ne se refusent pas. C'est mon moteur. Là, je suis en train de terminer un cycle.

- Dans l'album "Au hasard cet espoir", vous ne parlez que d'amour ?

Essentiellement ! Mais pas les aventures passagères. L'idée était plutôt de parler du grand amour. Celui qui laisse des traces, des empreintes. La chanson "Les archives du coeur" par exemple est auréolée de mystère, entre fiction et réalité.

- C'est-à-dire ?

J'habite Square Récamier et j'avais sur ma commode le livre "Croire au merveilleux" (de Christophe Ono-dit-Biot) qui a justement remporté le Prix Récamier du roman en 2017. Je l'ai emporté en vacances et un homme que j'ai croisé là-bas m'a indiqué qu'il avait été écrit exactement à l'endroit où je me trouvais. Le dernier chapitre s'intitule "Les archives du coeur" qui est également le titre d'une exposition de Boltanski, présentée au Grand Palais. Cet ouvrage m'a bouleversé et troublé. Il a joué un rôle dans ma vie.

- Comment s'est passé la rencontre avec Charlotte Rampling  ?

Je savais qu'elle avait déjà chanté sur un album d'Alain Chamfort. Je pensais souvent à elle. Lors d'une discussion avec un ami qui me demandait quel était mon top 4 des actrices que j'aimerais faire chanter, j'ai cité Charlotte Rampling.Peu de temps après, il m'a indiqué qu'elle aimait ce que je faisais. Ensuite, tout s'est passé assez simplement: mon téléphone a sonné et c'était elle. Elle a une vraie conscience du micro. Quand je l'ai entendue, je me suis dit que la chanson avait rencontré sa voix.

- Et avec Sylvie Vartan ?

J'ai eu le sentiment de réaliser l'un des rêves de ma mère qui allait la voir en concert. Je trouve que la discographie de Sylvie Vartan  n'est pas assez estimée. Elle a de très belles chansons. Quand on m'a contacté, je suis parti sur une veine intimiste qui est assez naturelle pour moi. J'ai eu un retour dix minutes après l'envoi des titres. Elle était très enthousiaste. 

- Comment avez-vous persuadé Amina d'enregistrer un nouvel album en France, plus de 20 ans après "Annabi" ?

J'avais fait chanter Gabrielle Lazure et je l'ai rencontrée à cette occasion. Là aussi, les choses se sont passées simplement. Je voulais que l'album soit joyeux, positif et solaire. Même les mélodies un peu mélancoliques sont tournées vers la lumière. Ce sont des valeurs que je partage avec Amina.

(c) Wahib Chehata

- Musicalement, vous semblez inspiré par des décennies que vous n'avez pas vraiment connues ?

Parce que j'aime mon regard sur ces périodes que je trouve intemporelles. Je pense que mes chansons sont faciles d'accès, mais je n'ai jamais le sentiment de cultiver quelque chose de rétro. Pendant une dizaine d'années, j'ai surtout écouté de la musique classique puis j'ai glissé progressivement vers la pop internationale et la variété. Lorsque j'aime un artiste, j'achète toute sa discographie ! J'ai travaillé avec Marie-France car il y a chez elle un truc qui me fascine. J'aimerais bien rencontrer Vanessa Paradis, par exemple.  J'adore son timbre et je pense qu'il collerait bien avec mes musiques.

- Vous avez également publié sur votre label les trois derniers albums de l'artiste suédois Jay-Jay Johanson ?

Et j'ai un certain nombre de projets avec de jeunes artistes. Ce label me permet de disposer d'une grande liberté.  J'ai été surpris et fier quand Jay-Jay Johanson a choisi de quitter une major pour travailler avec moi.

- Vous avez ressenti la même fierté lorsque Madonna vous a contacté pour vous acheter des lunettes ?

Au départ, nous avons cru avec mon frère qu'il s'agissait d'un faux mail ! Elle demandait des codes d'accès pour consulter la collection. Très rapidement, elle a commencé à porter les modèles "Thierry Lasry" et cela a beaucoup contribué à faire connaître la marque à ses débuts.

- Avec l'auteur Elisa Point, vous avez trouvé votre alter ego ?

Nous travaillons ensemble depuis dix ans et nous formons un vrai tandem.  Un peu comme Julien Clerc et Etienne Roda-Gil ! Elisa est assez plurielle dans son écriture.  Nous travaillons parfois en simultané. Elle commence à écrire, ses mots m'inspirent une mélodie et... à la fin il y a une chanson ! 
 



- Réédition de l'album "Au hasard cet espoir" (29Music/Kuroneko), disponible depuis le 19 novembre dernier.

- En concert, le 9 décembre 2021, à 20h, au Café de la Danse, 5, Passage Louis Philippe, 75011 Paris. Tél.: 01.47.00.57.59. Loc. points de vente habituels et sur le site www.cafedeladanse.francebillet.com

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